Créer sa startup : 6 questions préalables

10 ans déjà. 10 ans que je travaille en agence numérique. Mon métier : je suis consultant avant-vente. Certains diront ‘commercial’. C’est pas faux. En résumé, si vous avez un projet d’application numérique ou de service innovant, que vous appelez Lonestone, c’est sans doute sur moi que vous allez tomber.

Dans ce cadre, il m’arrive fréquemment d’échanger avec des porteurs de projets : managers, dirigeants, jeunes actifs, qui souhaitent monter leur startup et créer leur produit numérique.

C’est toujours un plaisir pour moi. Le bouillonnement qui précède la mise en œuvre d’un projet est franchement excitante. Se retrouver face à des personnes emplies d’optimisme portant leurs idées à bout de bras et les conseiller… rien de tel pour trouver du sens dans son métier. D’autant plus que leur énergie est souvent communicative.

Pleins d’enthousiasme, impatients de se lancer sur l’opérationnel, ils me demandent souvent très tôt dans la conversation combien coûte le développement d’une application web ou mobile. Combien coûte une application… dans l’absolu.

Naturellement, il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Question d’ambition !

5000€, 500 000€ : rien n’est absurde. À un même besoin peuvent correspondre plusieurs solutions, à un même projet une multitude de traitements opérationnels.

On me demande aussi comment s’y prendre, quelle méthodologie adopter, avec quel type d’acteurs travailler : agence digitale, agence de communication, ESN, freelances… Là encore, cela dépend.

Face à ces interrogations sans contexte, je me suis rendu compte au fil du temps que mon rôle de consultant commercial n’était pas forcément d’apporter des réponses, mais plutôt de poser les bonnes questions. Dans cet article, j’en détaille quelques unes, parmi celles qui me semblent déterminantes pour accompagner au mieux les porteurs de projet dans le cadrage de leur aventure.

Quelles sont vos motivations ?

C’est une question qui peut sembler bête, et pourtant elle est centrale : la question du pourquoi. Pourquoi êtes-vous en train de vous lancer ? Pourquoi, pourquoi maintenant, et pourquoi sur ce sujet-ci ?

C’est le moment d’auto-analyse nécessaire à tout lancement de business. Quelles sont les raisons d’être principales à la source de votre projet ? Votre envie d’entreprendre, oui sans doute. Le bénéfice utilisateur ? Oui, bien sûr… belle introduction pour un dossier à la BPI. Mais vous ? Qu’est-ce qui vous donne l’énergie nécessaire ? Est-ce parce que vous pensez avoir l’idée du siècle ? Pour gagner votre indépendance ? Pour défendre vos valeurs ?

Peut-être votre motivation est-elle avant tout financière. Ou bien souhaitez-vous juste faire ce que vous aimez ?

Aucun jugement de valeur : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise situation, comme dirait Numérobis. L’idée est plutôt de se regarder dans le miroir et de s’interroger sur ses motivations profondes, celles qui vous aideront à continuer de vous lever le matin le jour où vous traverserez une mauvaise passe.

Platon disait Connais-toi toi-même. Il aurait pu monter sa startup.

Combien de temps pouvez-vous consacrer à votre projet ?

Le temps, encore une énigme philosophique. C’est aussi l’une des problématiques les plus pragmatiques du créateur d’entreprise.

Selon que vous êtes encore en poste ou que vous vous lancez à plein temps dans l’aventure, vous obtiendrez sans doute des résultats sensiblement différents. Ah, le syndrome du side-project, ce fameux ‘projet perso’ qui occupe soirs et week-ends… quelques semaines, jusqu’à ce que la vie reprenne le dessus !

Là encore, aucune règle absolue. Certains entrepreneurs ont réussi à lancer des business pérennes en commençant par des 5 à 7 dans leur garage. Ce qui est important concernant la gestion de votre temps, c’est surtout d’être lucide : ne vous mentez pas sur le temps que vous pourrez réellement consacrer à votre projet, et aux risques potentiels liés à votre équilibre vie pro / vie perso.

Si vous décidez de quitter votre activité de salarié, sachez que le dispositif ARCE de Pôle Emploi permet aux entrepreneurs de toucher une partie du reliquat des droits aux allocations chômage sous forme de capital, ce qui peut constituer un sacré coup de pouce pour se lancer.

Connaissez-vous votre marché ?

Parmi les illusions que je rencontre souvent chez mes prospects, il y a celle -très courante- qu’une bonne idée est un élément suffisant pour monter un business et faire la différence sur son marché. On parle d’ailleurs souvent de ‘LA’ bonne idée, sacrosainte condition à la startup qui doit fleurir un jour.

Voilà une conception assez française, en partie héritée de notre modèle d’éducation porté davantage sur la théorie que sur la pratique : celle de la prépondérance de l’idée sur la mise en oeuvre, du stratégique sur l’opérationnel, du penser sur le faire. Ma conviction est qu’une bonne idée n’a pas de valeur dans l’absolu.

D’abord, ce concept est subjectif : une idée brillante à vos yeux n’aura peut-être aucune valeur aux yeux d’un autre, et vice-versa. Il est donc important d’objectiver sa pensée sur ce point et de réfléchir en termes de marché : votre offre correspond-elle à un besoin réel ? Est-elle susceptible de susciter une traction ? D’attirer des clients potentiels, des investisseurs, la presse, des partenaires ?

Il est aussi très probable que d’autres aient eu cette bonne idée avant vous, et qu’ils se soient déjà fait une place sur le marché. A moins de se retrouver en concurrence frontale face à des acteurs en situation de quasi monopole, pas d’inquiétude : la concurrence est quelque chose de normal, de souhaitable même. Si vous n’identifiez pas de concurrent à votre activité, méfiance ! C’est souvent qu’il n’y a pas de marché.

En conclusion, une idée avec des failles théoriques mais réalisée avec soin aboutira probablement bien mieux que celle avec une théorie parfaite mais une réalisation bâclée.

Connaissez-vous suffisamment vos utilisateurs ?

Après avoir été longtemps délaissée derrière une approche technico-technique de l’innovation, l’UX (ou user experience) a enfin acquis sa légitimité auprès du grand public professionnel. Cette discipline clé, dont l’objectif est de concevoir un produit au service des utilisateurs, permet de trouver un point de rencontre entre la vision de l’entrepreneur et la réalité terrain.

En proposant une étude en amont des utilisateurs cibles — notamment leurs motivations et leurs freins — la phase d’UX aide à concevoir in fine un produit plus adapté à leurs besoins réels.

Je dois souvent argumenter sur la nécessité de cette phase face à certains porteurs de projets, persuadés de connaître leurs utilisateurs sans avoir mis leurs convictions à l’épreuve du terrain. Mais fréquenter ses cibles, voire en faire partie, n’est pas une garantie de justesse ou d’exhaustivité. Au contraire, c’est souvent accompagné de biais cognitifs qui peuvent fausser la vision produit ou l’interprétation des signaux client.

Je n’ai jamais connu d’entrepreneur qui, après coup, ne m’a pas confié avoir appris beaucoup grâce aux interviews, aux études qualitatives ou quantitatives, aux tests sur prototypes, à l’AB testing…

Naturellement, toutes ces étapes ne sont pas toujours nécessaires. Il faut rester pragmatique et agile afin d’éviter de s’engluer dans des phases d’études à rallonge ou des méthodologies jusqu’au-boutistes. Mais gardez bien en tête que ce seront les utilisateurs qui auront le plus grand pouvoir décisionnaire concernant votre produit, via leurs usages et leurs comportements.

Quelle est votre stratégie business ?

Lorsque l’on parle ‘business model’ d’un produit ou d’un service, on a tendance à penser instantanément au retour sur investissement ‘mécanique’, ce bon vieux ROI qui se devrait se faire naturellement en alignant le bon pricing au bon volume de vente.

On ne peut pas nier que c’est le levier principal d’un BP : il est important de penser à la tarification de votre produit dès la phase amont de création de votre entreprise. Il vous faudra de toute façon projeter des prévisionnels comptables pour avancer. Mais ces prévisions là doivent être réalistes, et c’est souvent là la grande difficulté.

Parmi les questions structurantes à vous poser, il y a celle de vos couples offres/marché. En d’autres termes, avec quelle proposition de valeur comptez-vous adresser vos différentes cibles et quel prix mettez-vous en face de chaque proposition ? Là encore, l’idée est qu’il n’y a pas de ‘bon’ ou de ‘juste’ prix dans l’absolu. Une offre quasi similaire qui s’adressera simultanément au marché des particuliers et des professionnels pourra par exemple voir varier son prix très sensiblement selon le segment touché. Il y a la loi de l’offre et de la demande, évidemment (n’oubliez pas de faire un benchmark du pricing de vos concurrents !), mais il y a aussi tous les axes de différenciation qui peuvent justifier un positionnement prix : par le service, sa rareté, l’innovation, la spécialisation métier ou sectorielle, l’expertise sur une technologie, la légitimité que vous avez acquise, votre notoriété ou les budgets marketing investis… bref, nombreux sont les leviers qui peuvent vous permettre de prendre une place forte.

N’oubliez pas non plus d’inclure dans votre réflexion business d’autres composantes de la valorisation. Les immobilisations liées aux sommes investies sur le développement de votre produit par exemple (qui viennent solidifier votre bilan comptable), ou encore l’audience captive que vous allez réussir à acquérir et à conserver dans le temps (on parle de rétention client).

Il faut savoir que sur leurs premières années de vie, la plupart des startups, même (et surtout) celles devenues licornes, ne sont pas rentables. La logique de création d’entreprise est la plupart du temps une logique d’investissement. Ce n’est pas le paradis des business angels pour rien, eux qui savent voir le ROI à long terme.

Enfin, un autre levier financier intéressant si vous innovez est l’appui des aides de l’état : CIR, CII etc… les dispositifs sont nombreux pour encourager les entreprises françaises dans leur démarche de R&D.

Quels sont les facteurs de succès ou d’échec ?

C’est un exercice bête, mais terriblement utile. Identifier clairement ce qui peut faire réussir ou échouer votre projet vous permet de garder un cap clair sur vos objectifs qualitatifs. Et d’éviter une bonne partie des icebergs tout au long de votre parcours. Si vous le pouvez, n’hésitez pas à vous donner aussi des objectifs quantifiables, même si vous n’êtes pas particulièrement ‘sous pression’ : projection des budgets sur 3 ans, feuille de route business avec plannings macro, calcul de votre ‘point mort’ (équilibre financier de votre entreprise), objectifs de ventes à long terme…

Bref, plus vous aurez d’indicateurs, plus il sera simple d’objectiver et de garder le cap. Comme tout bon pilote qui se respecte !

Et au delà de leurs utilité, vous verrez que le fait de se fixer des objectifs permet aussi de s’offrir une belle part de satisfaction quand on les atteint… et ça, c’est bon pour le moral ! Car n’oublions pas que se faire plaisir dans son business, c’est la clé d’une réussite durable.